L’Amazone et l’Âne

16 Janvier 2022

Une réécriture féministe et humoristico-parodique (en tout cas au début) de la fable Le Meunier, son Fils et l’Âne de Jean de La Fontaine.
Cette histoire qui m’est arrivée est une histoire en fait assez banale. C’est l’histoire de quelqu’un qui dit « non » à une personne incapable d’entendre que derrière le « non » il n’y a rien d’autre que le « non ».

L’Amazone et l’Âne

L’invention de la femme étant un droit divin
Nous devons l’apologue aux dévots écrivains
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n’y trouvent à glaner.
La Terre est un pays plein de façons désertes ;
Tous les jours nos auteures y font des découvertes.
Je t’en veux dire un trait pas du tout inventé.
Aujourd’hui à Camille Pascal l’a conté.
Ces deux amies de Sappho, filles de sa lyre,
Disciples d’Aphrodite, nos mères, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour toutes seules, moi témoin,
(Comme elles se confiaient leurs pensées et leurs soins),
Camille parle ainsi :  » Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ces degrés avez déjà passé,
Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,
A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j’y pense.
Vous savez mes besoins, mes élans et ma science :
Dois-je dans les mots très clairement énoncés
Partir, ou dans l’émotion porter ma pensée ?
Tout au monde est mêlé de sagesse et d’armures :
L’affect a ses fenêtres, le verbe a ses murs.
Si je suivais mon goût, je prendrais la porte, point.
Mais il faut autant que faire se peut prendre soin
Pascal là-dessus dit : « Prendre soin de tout le monde ! »

Écoutez ce récit avant que je réponde.

J’ai vu dans quelque endroit qu’une adroite Amazone

A visage d’enfant mais ancrée sur son trône,
Vieille de vingt-neuf ans, si j’ai bonne mémoire,
Allait dans les calanques un jour de grande gloire.
Elle avait au soleil mangé de bons délices,
Elle s’était étiré pour ses doux bénéfices,
Puis elle s’était mise en marche pour le retour ;
La Femme se croyait libre, elle était rebours.
Un Âne qui ne passait pas par là héla.
« Dis-moi, sur quel sentier côtier sommes-nous là ? »
L’Âne en était bien un, oui, à n’en pas douter.
L’Amazone, à ces mots, voit la subtilité.
« Le sentier côtier », répondit-elle pourtant.
La Bête n’avait pas encore été dégoûtant.
Fort de cette réponse évidente, l’Âne envoie
A la volée les compliments les plus grivois.
Passent cinq marcheurs qui ne lèvent pas les yeux.
Point trop n’en faut, la Dame assume le Galeux :
« Oh là oh, en vous écoutant parler ainsi,
J’aimerais vérifier avec vous le récit
Que vous vous contez. Je suis toute solennelle,
Je ne recherche nulle part l’amour charnel.
Entendez-vous mon propos ? Nous comprenons-nous ? »
À peine la question posée, le Nigaud mou
Entre en transe et s’avance pour l’embrasser, diantre !
L’Amazone le repousse, du regard l’éventre,
Et sans plus attendre lui dit, calmement :
« Il y a dissension. J’ai dit non fermement.
– Mais, répond le Con, vous êtes si sympathique !
– Sympathique je suis, mais plus diplomatique. »
La Femme tourne les talons et s’en va haute.
La Brute la poursuit et questionne ses fautes :
« N’est-ce pas cela, au fond, que vous recherchez ?
– Du tout, c’est une ineptie qu’on vous a prêchée »
Elle file droit, droit vers la ville bientôt proche.
Il marche derrière elle et tente une autre approche.
Elle réitère donc son mécontentement :
« Il y a dissension. J’ai dit non fermement.
Catégoriquement, m’entendez-vous ou bien ?

– Oui, répond le Baudet presque comme si de rien »
Il n’arrête pour autant pas sa marche triste.
« Parbleu, pense l’Amazone, folle est l’optimiste

Qui croit que dans la bêtise il faut prendre soin.
Essayons toutefois, si par quelques rond-points
Nous en viendront à bout. » La ville est arrivée,
L’Amazone s’arrête, l’Âne copie, rivé
Sur son objectif. Elle lui déclare : « Je m’en vais.
Et je m’assure que ne serez mauvais
En me suivant. Je souhaite partir toute seule.
Vous ne franchirez pas de ce trottoir le seuil.
Sommes-nous d’accord ? » Voici que le pauvre Idiot
L’invite dans ses appartements conviviaux.
L’Amazone, sur ces mots, se tut et partit
Sans se retourner. À elle-même, elle repartit :
« Je suis Âne, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue ;

Que je dise très clairement les choses ou non,
Oui, je ferai des trous dans les murs au canon.»

Quant à vous, suivez Arès, l’Amour ou les deux ;

Parlez, criez, pleurez ; emmerder les merdeux ;
Quand l’interlocuteur est sourd, le prendre soin
Est un poids lourd dont on n’a nullement besoin.